LES GRANDS MAITRES DE L’ART
Dr HACHET.
Né en Algérie en 1949, Michel Levy arrive en France en 1962. De cette dualité d'appartenance va naître un tempérament artistique exceptionnel, illustré par le regard magique avec lequel il s'est emparé du mystère. de l'Homme et de l'univers, ajoutant à tout son environnement une puissante dimension spirituelle, philosophique et sociétale.
Très tôt, il s'interroge sur l'orientation qu'il souhaite donner à sa vie, en effet il va rapidement se trouver partagé entre deux passions : la sculpture et la médecine. Son attrait est aussi fort pour l'une que pour l'autre.
Il lui est donc difficile de choisir et finalement il va décider de concilier les deux.
A l'âge de 20 ans, il s'installe dans un premier atelier dans le quartier des Halles à Paris. Il s'emploie à vivre de son art, fréquente avec assiduité les musées, particulièrement les collections du Louvre, travaille avec ardeur la sculpture et se forme aux techniques de la fonte en bronze dans différentes fonderies. Cing ans après, il passe son bac en candidat libre et fait ensuite des études de médecine à l'issue desquelles il exerce en gérontologie à l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris à l'Hôpital Emile Roux pendant quatre ans.
Dans cet établissement, il crée le premier service d'Arthérapie en France en gérontologie, preuve s'il en était besoin du lien viscéral qui le relie aux métiers de l'art et de la médecine.
Cependant, mener les deux carrières de front va devenir difficile et sa passion pour l'art va finir par l'emporter. Il décide de se consacrer entièrement à la sculpture, donnant naissance à une œuvre très forte, à la frontière du bien et du mal, du jour et de la nuit, de la beauté et de la monstruosité, aux limites de la Vérité qu'il ne cesse de chercher.
Dans son art, prime la réflexion, l'analyse, l'introspection, l'intelligence. Chaque œuvre est un épanouissement des émotions, entre réel et irréel. Sa vision du monde dépasse les simples apparences et scrute l'insondable complexité de l'agencement de l'univers. Il travaille à décoder l'ambivalence de la nature humaine et nous en livre son interprétation. A la poursuite de cette quête, il nous entraîne dans les profondeurs d'un monde intérieur pour mieux nous ouvrir sur l'infini. Et, avec un sens aigu de l'observation, il explore autant la souffrance que la magnificence des corps et des âmes, il déchiffre les secrets de la vie et de la mort, de la joie et de la peine, du plaisir et du tourment.
S'il choisit la forme symbolique pour délivrer son message artistique, c'est pour s'adresser à l'esprit de celui qui regarde son œuvre, à son imagination, à sa faculté de raisonnement, à son âme. Il s'agit pour lui d'inciter le spectateur à aller au-delà de la simple observation, de lui donner accès au fantastique et de l'entraîner dans des contrées surnaturelles où les hommes sont face à eux-mêmes et où les animaux subissent des transformations étonnantes.
Ce symbolisme puissant, qui est le cœur de son art, permet à Michel Levy de développer son affirmation de l'éphémère et de l'inéluctable et d'explorer les tréfonds de l'être humain et de l'univers. Résolu à s'approcher de la vérité cachée derrière les apparences, il avance grâce à ses multiples allégories qui s'adressent à l'esprit et à l'imagination de chacun. A l'instar des peintres symbolistes, son art est celui des métamorphoses.
Le règne humain côtoie le règne animal et le règne végétal, lesquels s'imbriquent tous les trois et se fondent en une harmonie esthétique. Entre les mains de l'artiste, naissent des personnages qui agissent comme des miroirs de nous-mêmes et nous renvoient nos peurs et nos angoisses mais aussi nos orgueils et nos arrogances.
En parfaite adéquation avec ses convictions spirituelles et ses certitudes intimes, il avance dans son périple artistique qui le conduit à explorer les mystères de l'Homme et à nous en livrer sa vision personnelle. Dans ce contexte, la dualité de l'être devient le fil rouge de sa recherche artistique. Elle est à l'origine de bronzes remarquables où elle est symbolisée par la juxtaposition de surfaces lisses et lumineuses et de modelés rugueux et âpres. C'est l'éternelle opposition de la vie et de la mort qui nous est donnée à voir sous une forme allégorique, cette dualité entre le clair et l'obscur, le jour et la nuit qu'affronte l'homme en recherche d'une improbable vérité.
Ainsi, la sculpture éponyme « Dualité », traitée sur le mode d'un miroir qui reflète une mer calme et un ciel bleu éclairé par un soleil déclinant, est l'exemple même du travail de l'artiste sur ce thème manichéen.
L'encadrement comporte d'un côté le visage d'une femme jeune à la beauté flamboyante, et de l'autre, lui faisant face, un magma de matière informe ou pullulent des serpents ou des vers de terre. L'allusion est claire et directe. Il en est de même pour la sculpture intitulée « Hiver », laquelle aurait aussi bien pu se nommer « Eté », car elle représente un visage de femme partagé en deux. D'un côté le visage respire la vie et impose sa beauté et sa santé florissante, de l'autre il est l'expression de la mort et de la déchéance des corps avec son orbite creuse et ses chairs décomposées.
Après son exploration de la dualité de l'être, qui lui a inspiré des œuvres fortes, il aborde le thème du sacré avec ses travaux sur le Cantique des Cantiques de l'Ancien Testament, puis des thèmes qui font surgir au grand jour sa mythologie secrète. Ainsi en est-il de ses nains, gallinacés et autres créatures métamorphiques
de son Panthéon intérieur.
Le Cantique des Cantiques a souvent inspiré les plus grands artistes, qu'il s'agisse des peintres, en particulier Gustave Moreau et Henri Matisse, des sculpteurs ou des musiciens. Michel Levy nous en livre sa propre interprétation, puisée à la source de ses origines. Il nous restitue ces poèmes chargés d'amour sous la forme d'un triptyque dont l'intérieur des deux panneaux latéraux est occupé par un homme et une femme.
Représentés dans leur nudité originelle, ils chantent leur union et la consomment lorsque les deux volets du triptyque sont rabattus sur le panneau central. Pour arriver jusqu'à eux, il faut suivre un parcours initiatique, ouvrir les premières portes pour entrer dans le premier niveau de lecture du Cantique, le niveau des apparences. De là on peut ouvrir les secondes portes pour accéder au niveau sacré, celui de l'amour entre Dieu
et les Hommes.
Quelques années plus tard, Michel Levy oriente sa recherche vers une nouvelle lecture symbolique du monde qui l'entoure. Il en arrive ainsi à la réalisation d'une série de sculptures sur le thème des nains : « Je représente le plus souvent des hommes sous forme de nains, explique-t-il, car je pense qu'ils ont beaucoup perdu sur le plan charismatique. Autant, l'évolution technologique que nous voyons autour de nous est extraordinaire, autant nous assistons sur le plan proprement humain à de plus en plus de phénomènes de barbarie.
C'est pour cela, pour parler de l'involution charismatique de l'humain, que je fais des hommes petits, donc des nains.»
Pour comprendre les nains de Michel Lévy, il faut aller au-delà de la simple apparence, et s'approcher l'intime et de l'inconscient de chacun pour regarder en face ce que nous tentons chaque jour de cacher aux autres et à nous-mêmes. C'est la raison pour laquelle il représente ses nains métaphoriques selon la technique de l'écorché et nous donne en ces termes les clés de son acte créatif: « La peau est l'organe le plus grand, une sorte de tampon entre le monde extérieur et le monde intérieur. En ne représentant pas cette peau dans mes sculptures, symboliquement, cela permet de voir l'intérieur de l'être, une sorte de dépouillement du vieil homme. Une façon comme une autre de faire un état des lieux et de chercher à vivre avec ce que l'on a et non pas avec ce que l'on voudrait avoir. Quelques-uns de mes personnages sont estropiés, mais ils existent.
Malgré les obstacles. »
De fait, ses nains sont une parodie de l'homme, des sortes de réflecteurs qui nous renvoient l'image de nos turpitudes, de notre orgueil, de nos futilités,.. Il permettent à l'artiste de prendre de la distance par rapport à la réalité mais de conserver une ressemblance suffisante pour interroger notre conscience.
Par la suite, il fait évoluer sa représentation symbolique vers le thème du poulet. Révolté par le traitement qu'on réserve à ce gallinacé avant de le tuer pour le manger, indigné par les élevages en batterie, il explique :
«J'ai choisi e poulet car c'est l'animal le plus banal et celui qui constitue la première source de protéines pour l'alimentation humaine. Dans cette recherche, ce n'est pas la beauté de l'animal qui m'intéresse mais son identité. Le premier constat que j'ai fait est que le poulet aujourd'hui n'est plus considéré comme un son vivant mais comme une usiné à protéines pour l'alimentation humaine.» Son parti pris artistique est de représenter le poulet sans ses plumes, tel qu'on le trouve dans le commerce, plumé et prêt à être consommé.
La gageure pour lui est de redonner à l'animal « nu » sa dignité et de le mettre en scène avec des nains car dans cette relation l'homme est très minimisé, perdu dans ses contradictions. Il est donc parfaitement compréhensible que le thème du nain ait rejoint celui du poulet.
Poursuivant sa quête, ses sculptures se chargent de mille choses qui sont un reflet de la richissime relation qui existe depuis la nuit des temps entre l'homme et l'animal. Ainsi considère-il que, si nous sommes aujourd'hui l'espèce dominante sur cette terre, cela devrait nous donner non seulement des droits mais également des devoirs « si on abuse aujourd'hui de nos droits, les devoirs que nous avons envers les animaux ne sont pas assumés, je n'en veux pour preuve que la multitude d'espèces animales qui disparaissent tous les jours ».
Michel Levy, dont les recherches spirituelles et sculpturales nous renvoient toujours à l'Essentiel de notre condition humaine, expose dans de nombreuses galeries internationales. Il a aussi reçu nombre de distinctions, en particulier la Médaille de la Ville de Paris, la Médaille de l'Assemblée Nationale et la Médaille du Mérite Européen pour l'ensemble de son œuvre. En 2004, il a été fait Chevalier des Arts et des Lettres.